Remontée des taux : quel risque pour l’assurance-vie ?

30/03/2023

La remontée des taux d’intérêt est à l’origine de la crise bancaire qui a touché plusieurs établissements américains et européens. Cet épisode vient rappeler aux détenteurs de contrats d’assurance-vie que le risque zéro n’existe pas. Mais faut-il vraiment s’inquiéter pour son contrat ? Le risque de liquidité peut-il toucher le monde de l’assurance-vie ? Éléments de réponse.

Les contrats d’assurance-vie en fonds euros peuvent-il faire face à un risque de liquidité ?

La remontée des taux en cause

Après la Silicon Valley Bank (SVB) et d’autres banques américaines, la menace de faillite a traversé l’océan Atlantique. Le Crédit Suisse et, plus récemment, un assureur italien, Eurovita, ont été touchés par la remontée des taux d’intérêt et ses conséquences. Le monde de l’assurance en France est-il préparé pour affronter cette tourmente ? Fin février 2023, l’encours total de l’assurance-vie en France s’élevait à 1 874 milliards d’euros, dont la majorité se trouve sur des fonds euros. Ces supports dont les assureurs garantissent le capital étaient investis, fin 2021, à 77,6 % en obligations, dont 40 % en emprunts d’État et 60 % de titres d’entreprises (« investment grade »), selon les données du site Good Value for Money.

Le mois dernier, la SVB, qui avait investi une grande partie des dépôts de ses clients dans des obligations à long terme, a fait face à des retraits massifs. Conséquence, la banque a dû vendre rapidement des obligations dépréciées par la remontée des taux d’intérêt. La perte de la SVB est estimée à 1,8 milliard de dollars. Pour remonter la pente, la banque demande une recapitalisation accentuant encore plus l’inquiétude de ses clients et provoquant le « bank run ».

Le risque de non-étanchéité des secteurs

Ce même scénario pourrait s’appliquer à l’assurance-vie en France. Avec la remontée des taux, les épargnants pourraient décider massivement de fermer leurs contrats d’assurance-vie aux rendements moins compétitifs qu’un livret A. Les assureurs devraient alors revendre les obligations au risque de réaliser des pertes. Enclenchant ainsi le cercle vicieux. «En France, pour la même raison de brutale hausse des taux, les fonds en euros des contrats d’assurance-vie sont en risque», souligne Cyrille Chartier-Kastler, fondateur de Good Value for Money.

En effet, la hausse brutale des taux vient mettre un point final à une période de sécurité où les placements en fonds euros garantissent à la fois le capital, les intérêts et la liquidité. «Pendant quarante ans, les fonds en euros ont bénéficié de la baisse des taux. Ainsi, le rendement des obligations assimilables du Trésor (OAT) 10 ans, qui dépassait 15 % dans les années 1980, est même devenu négatif en 2020», rappelle Philippe Baillot, enseignant à l’université Paris II (Panthéon-Assas) et membre du Cercle des fiscalistes. Sauf que, depuis plusieurs mois, le taux de l’OAT 10 ans ne cesse de monter, passant la barre des 3 % début mars, avant de redescendre légèrement.

Dans ces conditions, les stocks d’obligations des assureurs se retrouvent en moins-value. «En considérant que la remontée des taux de l’ordre de 250 à 300 points de base a engendré une baisse moyenne de 12 % à 15 % de valeur des obligations dans les actifs généraux, on arrive à une moins-value latente totale de 130 à 165 milliards d’euros pour tout le secteur», conclut Cyrille Chartier-Kastler.

La loi Sapin II comme garde-fou

Il ne s’agit là que de la théorie. Car en pratique, tous les assureurs ne sont pas exposés à ce risque d’une manière uniforme. C’est lorsque le détenteur du contrat d’assurance-vie en fonds en euros souhaite retirer son argent que le risque devient réel. Car, pour ne pas afficher de pertes, la compagnie qui a vendu ses obligations en moins-value puise dans ses provisions. Or, ces dernières ne sont pas infinies. Si les épargnants souhaitant racheter leur contrat se multiplient le problème de liquidité et de solvabilité met en danger l’assureur. À ce jour, en France, les rachats de contrats d’assurance-vie en fonds en euros sont loin d’ébranler la machine. La décollecte nette sur les supports en euros s’élève à 4,2 milliards d’euros pour janvier et février 2023.

De plus, la France s’est dotée d’un joker afin d’éviter l’effet domino observé dans le monde bancaire : la loi Sapin II. Elle autorise l’État, sur décision du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) à suspendre, retarder ou limiter les retraits, arbitrages et avances sur les contrats d’assurance-vie en cas de « menace grave et caractérisée ». Ces mesures s’appliquent durant trois mois et peuvent être renouvelées. «Avoir recours à la loi Sapin II, c’est déclencher l’arme atomique, en actant qu’il y a un problème sérieux», estime Cyrille Chartier-Kastler. Philippe Baillot va même plus loin. Pour lui, «il n’y a pas de sujet. Pour qu’il y ait crise, que les compagnies souffrent et que les clients des fonds en euros prennent conscience de la nécessité de placer leur argent ailleurs, il faudrait que les taux grimpent à 5 %, 6 % voire 7 %…»

Un contexte favorable à l’assurance-vie ?

Pour le moment, tous les spécialistes s’accordent sur l’absence de signes avant-coureur d’une crise de l’assurance-vie. L’agence de notation Moody’s estime « peu probable » le risque d’une décollecte massive. Les assureurs sont moins exposés au risque de « bank run » que les établissements bancaires.

Paradoxalement, les déboires du secteur bancaire profitent aux compagnies d’assurance. En effet, les détenteurs de contrats d’assurance-vie en fonds euros qui envisageaient de se tourner vers des placements bancaires aux rendements plus intéressants vont certainement réfléchir davantage et conserver leurs avoirs sur les contrats actuels. D’autant que ces rendements plus importants sur les livrets d’épargne sont sans doute très provisoires. Et, la crise qui ébranle le secteur bancaire vient aussi fragiliser l’image de confiance et sécurité tant recherchée par les épargnants. Les zones de turbulence que traverse actuellement le secteur bancaire pourraient finalement jouer en faveur de l’assurance-vie.

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