Dissolution de l’Assemblée nationale : les ondes de choc d’un séisme politique

20/06/2024

Le 9 juin dernier, le chef de l’État a annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale. Un séisme inattendu, qui vient chambouler le milieu politique, mettant à mal de nombreuses réformes en cours, mais impactant aussi la scène économique française. Le point sur la situation.

Le choc de la dissolution de l’Assemblée nationale

Les faits

« Bombe », « séisme », « tremblement de terre », les images de catastrophe évoquant l’annonce du président de la République, le soir du 9 juin, pullulent dans les médias. Suite aux mauvais résultats de son camp politique, Renaissance, aux élections européennes, le chef de l’État a décidé la dissolution de l’Assemblée nationale, la chambre basse du Parlement français.

Emmanuel Macron a-t-il dépassé les limites ? Si de nombreux représentants politiques le pensent, il a agi en toute légalité. La dissolution de l’Assemblée nationale est une possibilité prévue par l’article 12 de la Constitution. En théorie, avant de prononcer la dissolution, le président de la République doit consulter le Premier ministre ainsi que les présidents des assemblées. Si la consultation a bien eu lieu en pratique, elle n’a pas conforté le chef de l’État dans sa décision. Certains médias ont rapporté que le Premier ministre, Gabriel Attal, s’est opposé à la décision du président, offrant même sa démission. Mais rien d’illégal puisque le président se doit seulement de « consulter », c’est-à-dire recueillir l’avis. Il détient l’autorité sur la décision finale.

Les précédents historiques

Ce n’est pas la première fois que la dissolution de l’Assemblée nationale est prononcée depuis le début de la Ve République. Historiquement, il existe cinq précédents :

  • En 1962, par le Général de Gaulle
  • En 1968, par le Général de Gaulle, après la crise de mai 68
  • En 1981, par François Mitterand.
  • En 1988, par François Mitterand.
  • En 1997, par Jacques Chirac.

La dissolution de l’Assemblée nationale rebat les cartes du jeu politique

Les raisons d’une décision explosive

La décision de dissoudre l’Assemblée nationale intervient généralement lorsque le chef de l’État fait face à une crise politique. Le 9 juin 2024, la liste du parti présidentiel (14,6 % des suffrages) se fait devancer par le Rassemblement national (31,37 %) et talonner par le Parti Socialiste-Place publique (13,83 %). Le faible résultat de Renaissance et la volonté de redonner le choix aux électeurs sont les deux raisons évoquées par le président de la République. « J’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote », a déclaré Emmanuel Macron le soir du 9 juin.

Changement de calendrier électoral

Concrètement, en prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale, le chef de l’État a avancé les élections législatives, initialement prévues en 2027. Elles auront finalement lieu le 30 juin prochain, pour le premier tour, et le 7 juillet, pour le second. À plus long terme, la dissolution redéfinit le calendrier des élections. Depuis la dernière dissolution, en 1997, les électeurs français étaient appelés aux urnes deux fois la même année : pour les élections présidentielles et pour les élections législatives. Conséquence de ce calendrier serré, les tendances politiques étaient souvent similaires dans les résultats électoraux. Ce qui impliquait que le président de la République voyait son pouvoir conforté dans les rangs de l’Assemblée nationale.

La dissolution vient changer le calendrier électoral et avancer les élections législatives de 3 ans. Suite aux élections qui doivent se tenir en juin 2024, les élections législatives seront décorrélées des élections présidentielles. Les prochaines élections législatives auront lieu en 2029, sauf si une nouvelle dissolution est prononcée avant cette date.

Élections législatives : les enjeux

Le choix du chef de l’État de dissoudre la chambre basse du Parlement français rebat les cartes de la politique française. La tenue d’élections, dans un contexte de montée en puissance du parti d’extrême-droite, est décisive. À l’issue du vote du second tour, le 7 juillet prochain, deux scénarios sont possibles :

  • Victoire du parti présidentiel aux législatives : le président de la République obtient alors une nouvelle majorité à l’Assemblée nationale et conforte son pouvoir.
  • Défaite du partie présidentiel aux législatives : une cohabitation s’installe et le président doit nommer un Premier ministre issu de la famille politique qui remporte les élections législatives.

En attendant l’organisation des prochaines élections législatives, l’Assemblée nationale et le Sénat ont cessé de siéger. Le travail législatif est donc à l’arrêt jusqu’au 7 juillet prochain.

L’agenda politique bousculé

Les réformes annulées

Mais il ne faut pas attendre les résultats du vote électoral pour comprendre que la simple annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale a déjà renversé le programme politique en cours. Les projets de loi et réformes en cours sont les premières victimes du séisme. « Tout ce que l’on a fait jusqu’à présent comme chemin parlementaire est anéanti », a regretté sur France 2 la présidente, sortante, de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet.

Le projet de loi sur la fin de vie et l’aide à mourir

L’examen du texte était en cours avant les élections européennes, mais rien ne certifie qu’il sera remis à l’ordre du jour suite aux élections législatives. En attendant, il retourne à la case départ. Il était pourtant très attendu par les Français.

Le projet de loi sur l’audiovisuel

L’examen du texte par les députés était prévu pour le 24 juin. Il prévoyait le regroupement des entreprises du service public du secteur de l’audiovisuel. Cette réforme portée par Rachida Dati n’aura pas lieu.

Le projet de loi sur l’agriculture

Adopté le 28 mai dernier par l’Assemblée nationale, il devait poursuivre sa route au Sénat le 24 juin. Ce texte répondait à la crise dans les campagnes françaises en facilitant, notamment, l’installation des jeunes.

Ces projets de loi ne sont pas les seuls à être purement annulés. D’autres textes sont aussi avortés : le vote sur la loi de règlement budgétaire, la réforme constitutionnelle du corps électoral en Nouvelle-Calédonie et la réforme du droit du sol à Mayotte.

Les réformes menacées

Les réformes, dont l’examen par le Sénat a déjà commencé, ne sont pas abandonnées. En revanche, leur avenir reste incertain.

Le projet de loi de simplification de la vie économique

En raison de la dissolution de l’Assemblée national, le vote de ce texte par le Sénat est ajourné. En revanche, l’examen du texte par les deux chambres est terminé. Cette mesure a pour objectif d’alléger la charge des entreprises, notamment les TPE-PME, en simplifiant le bulletin de paye, la résiliation des assurances, la médiation avec l’administration, etc.

Le projet de loi pour le développement de l’offre de logements abordables

Très critiqué, ce projet de loi, porté par le ministre Guillaume Kasbarian, prévoyait d’intégrer le logement intermédiaire dans les quotas de la loi SRU (qui impose un quota de 20 à 25 % de logements sociaux à 1 100 communes). Ce texte, présenté comme une solution à la crise du logement, pourrait être également avorté.

La réforme de l’assurance-chômage

« Un décret sera pris d’ici au 1er juillet pour cette réforme qui reste sur des paramètres qui sont ceux qui avaient été mis en place lors de la réforme de 2019, et qui surtout s’accompagnent d’un meilleur accompagnement des chômeurs vers le retour à l’emploi », a affirmé Gabriel Attal, le Premier ministre au micro de la radio France Inter, le 13 juin, soit 4 jours après la dissolution. Cette réforme vient modifier les règles de calcul des indemnisations chômage et recadre le statut des chômeurs seniors. Si le gouvernement souhaite poursuivre la réforme entre les deux tours de scrutin, rien n’est acté. Le texte est actuellement en cours d’examen par le Conseil d’État. Cependant, la dissolution a épargné à l’Assemblée nationale l’examen d’une proposition de loi contre cette réforme. Simple coup de chance ou calcul stratégique du parti présidentiel ?

Dissolution : l’onde de choc se répercute sur l’économie

Les marchés financiers chamboulés

Dès le lendemain de l’annonce de la dissolution, le CAC 40 a réagi à l’onde de choc en baissant de 1,35 %. La Bourse de Paris et toutes les places financières européennes ont vu rouge suite aux élections européennes. Ce sont les sociétés les plus dépendantes de la solidité de l’activité française qui ont été bousculées. « Les derniers événements créent de l’incertitude à un moment où les derniers résultats, économiques comme budgétaires, sont assez médiocres », analyse Bruno Cavalier d’Oddo BHF. C’est le secteur bancaire qui a connu la plus forte chute : -7,46 % pour la Société Générale, -4,76 % pour la BNP Paribas, -3,19 % pour le Crédit Agricole.

L’euro a, de son côté, réagi de la même manière avec une baisse de 0,5 %. Cette monnaie, réputée stable, a perdu du terrain face au dollar, la livre-sterling et même le rouble. Un paramètre supplémentaire qui pourrait inciter les investisseurs étrangers à se détourner des valeurs françaises. En 2022, Goldman Sachs et Nomura estimaient que l’euro pourrait chuter de 4 % si Marine Le Pen gagnait les élections présidentielles face à Emmanuel Macron. L’impact serait-il le même en cas de victoire de l’extrême-droite aux législatives ?

La répercussion de la dissolution sur les taux de crédit

L’incertitude qui a gagné les marchés financiers pourrait également se répercuter sur les taux immobiliers dans les prochains mois. Le marché obligataire a été encore plus impacté. Le rendement des obligations d’État française à 10 ans a fait un saut de 13 points de base, dépassant 3,22 % pour la première fois depuis le mois de novembre 2023. Il dépasse ainsi ses équivalents européens.

Mais le signal le plus marquant des conséquences de la décision présidentielle reste le « spread » avec les taux allemands. Le « spread » est la différence de taux de crédits entre 2 types d’emprunteurs. Ainsi, suite à la dissolution, le spread franco-allemand à 10 ans a augmenté de 7 points de base. Il atteint 55 points de base, son niveau le plus haut depuis le début d’année. Si le « spread » franco-allemand n’en est pas à sa première envolée, l’instabilité économique et politique du pays pourrait entraîner de nouvelles hausses sur les marchés.

La dégradation de la note de la France par S&P Global Ratings, avant les élections européennes, passant de « AA » à « AA-« , était un mauvais signal. Pour rappel, c’est la première dégradation de la notation de la France depuis 2013. Une bonne note est gage de confiance pour les investisseurs. Les agences de notation vantent souvent la stabilité politique de la France. Cette dévaluation est un coup supplémentaire pour la France qui étend le choc de la dissolution de l’Assemblée nationale française au-delà des frontières.

Dans un contexte de timide baisse des taux d’intérêt et de désinflation, le timing est plutôt mal choisi pour jouer avec le feu. Les variations de l’OAT (obligations assimilables du Trésor) ont des conséquences sur les taux d’emprunt bancaires. Jeudi 7 juin, la Banque centrale européenne (BCE) annonçait baisser les taux directeurs. « La dissolution vient compliquer la lecture apaisante de l’annonce de la BCE, qui était un signal de normalisation des taux », analyse Pierre de Buhren, Directeur général du groupe Empruntis. Toutefois, les taux de l’OAT restent proches de ceux annoncés avant les résultats des élections européennes.

Actuellement, les taux pratiqués pour un emprunt immobilier sur 20 ans sont en moyenne de 3,73 % selon Cafpi. Cette moyenne se situe à 3,55 % sur 15 ans et 3,95 % sur 25 ans. Des taux « encore praticables même avec un OAT de 3,5 % », pourtant loin d’être atteint, observe Sandrine Allonier de Vousfinancer pour le quotidien les Échos. Si les résultats des élections législatives provoquaient une réaction des marchés financiers entraînant un dépassement de ce taux pour l’OAT, les taux de crédit pourraient évoluer. Mais pour les experts, la véritable menace imminente est « tout ce qui pourrait modifier les fondamentaux du marché de crédit, comme un programme susceptible de fragiliser l’emploi ou le financement des politiques publiques », explique Caroline Arnould, directrice générale de Cafpi.

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