Assurance-emprunteur : la suppression du questionnaire de santé, une fausse bonne idée ?

25/11/2023

Un an et demi après la promulgation de la loi Lemoine qui supprimait le questionnaire de santé, le bilan est mitigé. La loi qui devait empêcher la discrimination lors de la souscription à une assurance-emprunteur se retourne finalement contre les personnes à risque. Explications.

La loi Lemoine, une avancée pour les emprunteurs malades

Applaudie par les associations et les emprunteurs présentant des maladies, la loi Lemoine, promulguée en février 2022, avait deux vertus pour les emprunteurs :

  • le droit de changer d’assurance-emprunteur à tout moment
  • la suppression du questionnaire de santé dès lors que le montant du crédit était inférieur à 200 000 euros et que la fin du remboursement intervenait avant les 60 ans de l’emprunteur.

Dès juin 2022, les compagnies d’assurance ne pouvaient plus interroger les emprunteurs sur leur état de santé. Une avancée en matière de droit du consommateur qui avait pour objectif de « maintenir une forte solidarité dans le système de l’assurance emprunteur et de supprimer les discriminations en fonction de l’état de santé », explique Jean-Baptiste Blanc, le rapporteur pour avis de la commission de finances du Sénat.

Un an et demi après, le bilan de la suppression du questionnaire de santé

Pour mesurer l’efficacité de la mesure et son succès, le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) est tenu de remettre un rapport avant février 2024, soit deux après la promulgation de la loi Lemoine. Du côté des professionnels et des associations, les avis sont unanimes : la loi n’a pas atteint l’objectif fixé. Certains pointent du doigt les effets délétères de la loi depuis son entrée en vigueur.

D’après une estimation relayée par le pôle assurance de Cafpi, courtier en crédits, les tarifs des assurances-emprunteurs pour les prêts non soumis à la sélection médicale ont subi une hausse estimée entre 15 % et 20 %. « Pour tenir compte du fait que nous ne pouvons pas identifier les risques des personnes, nous majorons tous les tarifs qui sont Lemoine. C’est tout le problème de cette loi. Il aurait été raisonnable de permettre aux gens qui le souhaitent de remplir un questionnaire médical », argumente un chargé de prestations d’un assureur contacté par le quotidien Les Échos.

Contournement de la loi Lemoine par certains assureurs

Outre la hausse globale des tarifs des contrats d’assurances-emprunteurs, certains professionnels notent des évolutions des conditions générales de vente de certains contrats. Ces dernières comporteraient de nouvelles exclusions tendant à alléger la prise en charge des pathologies antérieurs à l’adhésion des emprunteurs. « Je peux à la rigueur entendre que les assureurs augmentent leurs prix. Ce que, en revanche, je déplore grandement ce sont les changements constatés dans les conditions générales. […] Je redoute que des assurés depuis 18 mois se croient couverts mais ne le soient pas réellement », précise la courtière Delphine Vassard aux Échos.

Face à l’obligation imposée par la loi Lemoine, certaines assureurs ont donc changé leur fusil d’épaule et adapté leur politique de couverture. Par exemple, CNP assurances, assureur des crédits octroyés par La Banque Postale, les Banques populaires et les Caisses d’épargne, a ajouté dans ces contrats une nouvelle mention : « En raison du caractère aléatoire du contrat d’assurance, est exclue toute prise en charge de toute conséquence d’un sinistre en cours à la date de conclusion de l’adhésion du candidat à l’assurance ». En clair, cela signifie que l’assureur ne prend pas en charge les arrêts de travail survenus au moment de la souscription du contrat. Cas possible chez les personnes malades.

L’assureur se défend en expliquant que le Code des assurances prévoit ce cas de figure. De plus, la suppression du questionnaire de santé ne permettrait plus de détecter ce genre de situation avant signature du contrat d’assurance-emprunteur. En somme, il s’agit donc d’un rappel. Même discours chez Malakoff Humanis qui, à l’instar de CNP Assurances, a ajouté une mention relative aux « sinistres ».

Suppression du questionnaire de santé : des ajustements à prévoir ?

Si ces pratiques ne sont pas illégales, il est clair que les assureurs cherchent à se prémunir d’une prise en charge trop importante des emprunteurs à risque. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a cependant demandé aux assureurs d’être plus précis dans leurs nouvelles mentions, notamment en définissant le mot « sinistre ». Outre ce cas de figure, l’ACPR a identifié d’autres clauses, allant à l’encontre du principe de non-discrimination voulue par la loi Lemoine. Ces nouvelles exclusions inquiètent certaines fédérations et associations de défense.

L’effet boomerang de la suppression du questionnaire de santé se fait déjà ressentir. Les assurés malades ou anciens malades n’ont plus l’occasion d’expliquer leur situation personnelle. Cette nouvelle configuration exclut donc la possibilité de faire du sur-mesure en fonction de la situation de l’emprunteur. C’est ce que souligne Arnaud Chneiweiss, « le risque de clause générale, d’exclusion par principe, plus large que la situation antérieure où on pouvait faire plus de sur-mesure en fonction des réponses de l’emprunteur, est un des écueils anticipé et débattu au moment du vote de la loi ».

Pour pallier aux conséquences de la suppression du questionnaire de santé, les assureurs disposent d’autres indicateurs non-médicaux, mais permettant d’évaluer la probabilité qu’un assureur est un problème de santé. Le rapport du Comité consultatif du secteur financier, attendu début 2024, devrait permettre de palier ces « effets secondaires ». En effet, la mission du CCSF est double : dresser un état des lieux de la situation post loi Lemoine et proposer des pistes d’évolution pour tendre vers l’objectif premier du texte. Affaire à suivre.

Pour aller plus loin :