Successions : le quasi-usufruit de sommes d’argent visé

04/10/2024

L’administration fiscale a récemment mis fin à la possibilité de déduire, de l’actif successoral, les créances de restitution issues des donations de sommes d’argent assorties d’une convention de quasi-usufruit. Cette nouvelle disposition, prévue par la loi de finances pour 2024, soulève des interprétations variées et suscite de nombreuses questions parmi les experts. Décryptage des changements et de leurs implications.

La fin des démembrements de sommes d’argent avec quasi-usufruit

La pratique du démembrement de somme d’argent, lorsqu’elle est associée à une convention de quasi-usufruit, ne bénéficie plus de l’avantage fiscal qu’elle offrait jusqu’ici. L’article 774 bis du Code général des impôts (CGI) stipule désormais que les créances de restitution nées d’une donation de somme d’argent assortie d’un quasi-usufruit ne sont plus déductibles de l’actif successoral.

Jusqu’ici, ce montage permettait au donateur de transférer la nue-propriété d’une somme d’argent à ses héritiers, tout en continuant à pouvoir librement utiliser les fonds. La créance de restitution, due aux nu-propriétaires lors de la succession, venait alors diminuer l’actif taxable, et par conséquent, les droits de succession. Mais cette optimisation fiscale est dorénavant caduque pour toutes les successions ouvertes depuis le 29 décembre 2023..

Il est essentiel de souligner que cette restriction concerne uniquement les donations de sommes d’argent avec convention de quasi-usufruit. Les démembrements conventionnels sans quasi-usufruit portant sur des biens immobiliers ou des titres, ou les démembrements de sommes d’argent intervenant dans le cadre de successions, ne sont pas affectés par cette nouvelle législation.

Pourquoi ces modifications ?

L’administration fiscale a jugé que le recours aux donations de sommes d’argent assorties de quasi-usufruit était avant tout utilisé pour réduire artificiellement les droits de succession, sans qu’il y ait de véritable intention patrimoniale de transmettre les sommes. Comme l’explique Arnaud Tailfer, avocat fiscaliste, « il était difficile de justifier ces montages par autre chose qu’un objectif purement fiscal ».

En réaction, l’article 774 bis du CGI a été introduit dans la loi de finances pour mettre fin à cette forme d’optimisation fiscale jugée abusive, en interdisant la déduction des créances de restitution.

Flou sur l’interprétation des autres quasi-usufruits

Bien que la règle semble claire pour les donations de sommes d’argent assorties de quasi-usufruit, certaines ambiguïtés subsistent quant à l’interprétation de l’article 774 bis. En effet, le Bulletin officiel des finances publiques (Bofip) publié en septembre 2024 a élargi la portée du texte, mentionnant que la non-déductibilité pourrait aussi s’appliquer à « toute autre opération assimilable », lorsque le bien sur lequel le défunt s’était réservé l’usufruit est transformé en somme d’argent.

Cela inclut, par exemple, le rachat d’un contrat de capitalisation. Cet élargissement sème le doute chez certains experts, qui craignent que des montages patrimoniaux légitimes puissent également être impactés.

Les exceptions qui subsistent

Malgré cette restriction, certaines exceptions sont mentionnées dans le Bofip. Par exemple, les dettes de restitution restent déductibles lorsqu’elles résultent d’une cession ou d’une opération non initiée par le défunt, ou encore lorsqu’elles concernent la distribution de dividendes prélevés sur les réserves, et non sur les autres bénéfices.

Cette distinction, qui n’était pas explicitement précisée dans le texte législatif, introduit une forme d’incertitude juridique. « La rédaction du Bofip crée une insécurité juridique sur la question des distributions exceptionnelles de dividendes, en particulier dans le cadre de holdings familiales », précise Sandrine Quilici, directrice de l’ingénierie patrimoniale chez Norman K.

Trois critères pour détecter les montages abusifs

L’administration fiscale semble déterminée à lutter contre les montages qu’elle juge abusifs. Dans ses commentaires, elle donne des indications claires sur les critères qui pourraient l’amener à considérer qu’une opération a un but principalement fiscal, ce qui entraînerait la non-déductibilité de la créance de restitution.

Première piste donnée par l’administration fiscale : le « temps écoulé entre le démembrement de propriété et la cession du bien démembré ou de l’opération assimilable ». Pour le fisc, plus la durée écoulée avant de céder l’objet de démembrement et empocher la liquidité est longue, plus le but purement fiscal est difficilement invocable.

Une deuxième piste d’indices réside dans les motivations patrimoniales de l’usufruitier dans l’opération de démembrement. Si ces dernières ne sont pas purement fiscales, alors la déductibilité peut être accordée. « On comprend que quelqu’un de peu fortuné peut donner en démembrement, vendre l’actif et se constituer un quasi-usufruit. En revanche, si l’usufruitier dispose de liquidités par ailleurs, cela ne marche pas », résume Arnaud Tailfer.

Dernière piste proposée dans le Bofip, le « degré de latitude de l’usufruitier à décider du report de l’usufruit sur le prix de cession ou sur le produit de l’opération assimilable à la cession ». Comprendre ici, le cas d’un nu-propriétaire mineur pour lequel le parent usufruitier prend la décision de cession et de report de l’usufruit.

La clause bénéficiaire d’assurance-vie : un cas à part

Un autre aspect souvent discuté est la clause bénéficiaire démembrée dans le cadre des contrats d’assurance-vie. Dans ce cas, l’usufruit de la clause peut être attribué au conjoint survivant, tandis que la nue-propriété est donnée aux enfants. Lors du décès, le conjoint reçoit le capital sans droits de succession, tandis que les enfants ne paieront des droits qu’au moment où ils recevront la pleine propriété.

Heureusement pour les contribuables, l’article 774 bis ne s’applique pas à ce type de démembrement. Comme le précise l’administration fiscale, « ces dispositions ne concernent pas les dettes de restitution portant sur une somme d’argent dont le défunt détenait l’usufruit en tant que bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie ».

Conclusion

La loi de finances pour 2024 apporte des changements significatifs dans le traitement fiscal des donations de sommes d’argent assorties de conventions de quasi-usufruit, en limitant la déduction des créances de restitution. Toutefois, cette restriction ne s’applique pas à tous les démembrements de sommes d’argent, et les démembrements conventionnels, ainsi que ceux résultant de successions, ne sont pas visés. Malgré ces clarifications, des zones d’ombre subsistent, notamment concernant la distribution des dividendes et d’autres montages patrimoniaux, appelant à une vigilance accrue de la part des conseillers fiscaux.


Pour aller plus loin :