Peut-on donner une somme d’argent en s’en réservant l’usufruit ?

21/11/2023

Le comité de l’abus de droit fiscal a considéré que la donation d’une somme d’argent avec réserve d’usufruit n’est pas un abus de droit. Elle crée simplement une créance dans le patrimoine du donataire et une dette dans celui du donateur. Explications.

Donner une somme d’argent sans s’en dessaisir

Le comité de l’abus de droit a examiné un litige autour d’une donation d’argent avec réserve d’usufruit. Il tire des conclusions intéressantes qui permettent d’envisager la donation d’une somme d’argent sous un nouvel angle. Les faits de cette affaire sont simples. Une mère consent, le 30 décembre 2010, une donation d’une somme de 3 200 000 € à ses deux fils, soit 1 600 000 € chacun. Elle se réserve toutefois l’usufruit de cette somme toute sa vie durant. Pour rappel, l’usufruit est le droit de jouir d’un bien dont un autre a la propriété (article 578 du Code civil).

Elle décède le 30 octobre 2015. La somme de 3 200 000 € est alors inscrite en passif de la déclaration de succession au titre de la dette de restitution envers ses deux enfants, également seuls héritiers. La donation avec réserve d’usufruit a permis, dans ce cas, à la mère de conserver la somme d’argent jusqu’à la fin de sa vie. Elle était néanmoins redevable, au titre d’une dette, de cette somme à ces enfants donataires. Problème, l’administration fiscale rejette la déduction des 3 200 000 € de la succession sur le fondement de l’abus de droit (article L64 du Livre des Procédures fiscales (LPF) et considère la donation comme fictive.

Donation d’une somme d’argent : le point de vue de l’administration fiscale

Le litige entre les héritiers et l’administration fiscale prend racine autour de la définition du mot « donation ». Selon l’article 894 du Code civil, la donation est « un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte ».

Or, dans le cadre de cette affaire, il s’agit de la donation d’une somme d’argent avec réserve d’usufruit. Concrètement, le somme d’argent n’a pas été donné aux deux donataires au moment de la donation, mais au décès du donateur. Ainsi, pour l’administration fiscale, la donation, au sens du Code civil, a eu lieu en 2015, au moment de la succession, et non en 2010 au moment de la donation. Ce constat change la donne pour le calcul des frais de succession et la déclaration fiscale.

Donation avec réserve d’usufruit : que dit le comité de l’abus du droit fiscal ?

Sur cette affaire, le comité de l’abus du droit fiscal a rendu son avis le 11 mai 2023. Il s’est appuyé sur l’article 587 du Code civil qui fait de l’existence de la dette de restitution la conséquence de la constitution du quasi-usufruit. Autrement dit, l’existence d’une dette rend réelle la donation, bien qu’elle ne soit pas effective immédiatement. L’article 587 du Code civil prévoit que l’usufruitier peut se servir de sa donation, mais à charge de rendre au nu-propriétaire une somme équivalente à la fin de l’usufruit, au décès de l’usufruitier.

De plus, le comité a démontré, en s’appuyant sur les éléments fournis par les héritiers, que la mère détenait le jour de la donation des liquidités à hauteur de 2 952 150 €. La donation pouvait donc seulement être considérée comme fictive à hauteur de la somme qu’elle ne détenait pas, soit 247 850 €. Comme il n’est pas possible de donner ce qu’on ne possède pas, le comité a déduit que la somme des 247 850 € pouvait faire l’objet d’une contestation d’une dette déductible de l’actif successoral. La procédure d’abus de droit est donc valable, mais uniquement sur cette somme.

Pour conclure le comité, à travers son avis, semble valider les donations de sommes d’argent avec réserve d’usufruit si le donateur possède, au jour de la donation, les liquidités correspondantes. Selon un avis du Conseil d’État, il en va de même pour les donations de titres avec réserve d’usufruit.

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