La loi de finances pour 2024 consacre un volet à la lutte contre la fraude fiscale. Si le texte est adopté en l’état, l’administration fiscale pourra poursuivre son expérimentation de traque sur les réseaux sociaux et les plateformes collaboratives. Et plus encore. Elle pourra étendre sa collecte de données aux plateformes nécessitant une inscription et un mot de passe pour recherche de nouvelles infractions. Explications.
Prolongation de l’expérimentation de collecte de données sur les réseaux sociaux
L’adoption de la loi de finances pour 2024 à l’Assemblée nationale, via l’article 49.3, a empêché les débats sur le volet consacré à la lutte contre la fraude fiscale. Pourtant, d’importantes propositions y figurent. Elles concernent la collecte de données sur les réseaux sociaux et les plateformes collaboratives. Premier enjeu de ce texte : la prolongation de l’expérimentation initiée par l’article 154 de la loi de finances pour 2020. Dans cet amendement, le gouvernement prolonge le dispositif de deux ans.
Or, cette expérimentation n’a pour le moment, depuis sa mise en place, pas permis une évaluation chiffrée des contrôles fiscaux réalisés grâce à la collecte de données. Un rapport sénatorial paru en octobre 2022 a conclu que les enjeux financiers s’étaient avérés faibles durant la première phase de test en juillet 2021. En 2023, un nouveau rapport a été transmis au Parlement. Mais il ne contient toujours pas de bilan chiffré des recettes fiscales engendrées grâce à cette méthode de lutte. « Entre le moment où l’algorithme dresse un listing de dossiers en anomalie et le résultat des contrôles, avec éventuellement du contentieux, il peut y avoir un décalage de 2 ou 3 ans. C’est pour cela que nous ne sommes pas en mesure d’apporter ce bilan chiffré », explique Carole Maudet, sous-directrice du contrôle fiscal, du pilotage et de l’expertise juridique.
Réseaux sociaux et plateformes requérant une inscription et un mot de passe
Le texte ne se limite pas à la prolongation d’une expérimentation qui nécessite plus de temps pour prouver son efficacité. Il étend le champ d’action de l’administration fiscale en l’autorisant à « collecter et exploiter au moyen de traitements informatisés et automatisés […] les contenus manifestement rendus publics par leurs auteurs et publiquement accessibles sur les sites internet des plateformes en ligne […] y compris lorsque l’accès à ces plateformes requiert une inscription à un compte ».
Les robots antifraudes et algorithmes du fisc pourraient donc bientôt débarquer sur Instagram, Facebook et TikTok. Autrement dit, toutes les plateformes requérant une identification et un mot de passe jusqu’à alors restées en dehors des radars de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP). « Il n’y aura aucune interaction avec les utilisateurs des réseaux sociaux. Nous n’aurons pas accès aux groupes et aux discussions privées. La possibilité de créer un compte va juste nous permettre de réaliser les mêmes travaux que ceux que nous menons actuellement sur les plateformes d’économie collaborative », ajoute Gilles Clabecq, chef du bureau en charge de la programmation du contrôle fiscal et de la mise en œuvre du datamining.
De nouvelles infractions visées par l’administration fiscales
L’accès à de nouvelles plateformes va permettre au fisc de diversifier le type d’infractions recherché. En mai dernier, le ministère des Comptes publics indiquait vouloir porter à 50 % d’ici à 2027 les contrôles fiscaux des particuliers initiés par le datamining. Cette nouvelle disposition de l’expérimentation va dans ce sens puisqu’elle étend la collecte de données à deux nouvelles infractions : la minoration et la dissimulation de recettes.
Concrètement, il s’agit de rechercher massivement, grâce à des algorithmes, des petites fraudes. Par exemple, l’achat-revente de voitures ou de la vente de services sans création d’entreprise préalable. « Actuellement, nous pouvons identifier des professionnels très actifs sur certaines plateformes qui ne déclarent que très peu de revenus. Juridiquement, cette information n’est pas exploitable. Le changement intégré à la loi de finances va nous permettre de lutter contre cette source de fraude », détaille Gilles Clabecq pour le quotidien Les Echos.
Passer l’épreuve du Conseil constitutionnel
« Je ne suis pas certain que les Sages valident cette nouvelle mouture. Le Conseil constitutionnel était à l’origine de l’impossibilité de collecter des contenus nécessitant un mot de passe ou une inscription au préalable », commente Charles de Crevoisier, avocat d’affaires chez Fidal. En effet, avant d’entrer en vigueur, le Conseil constitutionnel doit examiner le texte. Or, il avait déjà réfuté la possibilité de collecter les contenus nécessitant une inscription ou un mot de passe.
Cette fois-ci, l’Administration fiscale a pris les devants et posé elle-même un garde-fou. Elle propose, pour convaincre les Sages, d’informer la CNIL (Commission nationale de l’information et des libertés) avant toute campagne de collecte avant qu’elle ne soit engagée. À voir si cela suffira à convaincre le Conseil constitutionnel du bien fondé de la démarche.
Pour aller plus loin :
- Pour approfondir, rendez-vous sur la page dédiée à la lutte contre la fraude fiscale de la DGFIP
- S’informer en matière de réduction d’impôt
- Retrouver l’article d’origine sur Les Echos