La Cour d’appel vient de rappeler, à travers deux arrêts, qu’il existe des différences importantes entre SCI familiale et l’activité de marchand de biens immobiliers. Dissimuler une activité dans une SCI sous prétexte que les opérations de vente générant des plus-values constituent une « activité normale » entraîne une requalification fiscale de la SCI. Explications.
Quand parle-t-on d’activité de marchand de biens ?
Rien ne vaut un cas pratique pour comprendre la nuance, aux yeux de l’administration fiscale, entre « une SCI familiale » et une activité de marchand de biens immobiliers. En septembre 2002, un homme réalise une première opération immobilière sur un immeuble, qu’il revend ensuite en 3 appartements, en 2003 et 2004. Il réitère l’opération en mars 2003 et cède le terrain en 2012. Il réalise un achat en viager en novembre 2003, qu’il revend en 2007. Il poursuit les opérations immobilières en 2007 avec une maison dont il cède le jardin en 2010 et le bâti en 2013. Une cinquième opération constituée de 3 lots est réalisée en 2013. Une sixième opération a été signée la même année. Ces deux dernières ont fait l’objet d’une revente, respectivement en 2014 et 2017 (partiellement). Pour toutes ces opérations, des plus-values ont été réalisées à la revente.
Le jeu prend lorsque le gérant de la SCI reçoit un avis de vérification de comptabilité pour les trois années, de 2013 à 2015. Suite à ce contrôle, l’administration fiscale considère que la SCI a dissimulé une activité de marchand de biens. Le gérant de la SCI est donc sommé de régler l’impôt sur les sociétés dû ainsi que la TVA. Ce dernier conteste la requalification de la SCI familiale en activité de marchand de biens. Il estime qu’il s’est contenté d’une activité patrimoniale privée et ne reconnaît pas le caractère « habituel » de l’activité pointé par le fisc (art. 35 du Code général des Impôts).
Quels arguments pour justifier la requalification fiscale ?
Portée en justice, l’affaire est étudiée par le tribunal administratif qui rejette le recours du gérant de la SCI. La Cour d’appel de Marseille, alors saisie, suit la décision du tribunal administratif. Elle rappelle que la requalification en activité commerciale est subordonnée à une double condition :
- une intention spéculative
- un caractère habituel de l’activité
Elle souligne également que le caractère « habituel » s’apprécie en fonction du nombre d’opérations réalisées et leur fréquence. Ainsi, ce n’est pas parce que les opérations d’achat et de revente sont effectuées de façon opportuniste qu’elles ne sont pas spéculatives. De plus, « l’absence d’affectation des biens immobiliers acquis à une activité quelconque et la proximité dans le temps des achats et des ventes font apparaître que ces opérations ont été réalisées dans une intention spéculative ». Il faut également noter que la SCI est destinée à gérer un patrimoine. Dans le cas pratique détaillé ci-dessus, les actifs n’ont pas servi à une occupation familiale, ni à une mise en location dans l’optique de percevoir des loyers. Il est donc clair qu’il s’agit d’une activité de marchand de biens. La SCI relève donc de l’impôt sur les sociétés (IS), selon l’article 206 du CGI, et est redevable de la TVA (article 256 du CGI).
L’occupation des biens, un contre-argument
Si la décision de la Cour d’appel semble indiscutable et en accord avec la jurisprudence (BOI-BIC-CHAMP-20-10-30), elle fait écho à une autre affaire similaire jugée par la Cour d’appel de Toulouse. L’affaire jugée à Toulouse concerne une SCI qui a réalisé 6 achats et 10 ventes de biens immobiliers entre 2001 et 2016. Le dossier précise même que « la circonstance qu’aucune transaction n’a été opérée par la société entre 2011 et 2016, qui s’explique d’ailleurs par la réalisation d’opérations de division parcellaire et par le contexte économique, sept déclarations d’intention d’aliéner ayant été déposées durant la période, n’est pas suffisante pour remettre en cause ce caractère [habituel et spéculatif] ».
La question devient complexe et discutable lorsque le marchand de biens occupe les biens immobiliers qu’il acquiert en vue de les vendre. Certains marchands de biens changent régulièrement de résidence principale afin de profiter de l’exonération d’impôts sur la plus-value. Un petit jeu de cache-cache qui pourrait empêcher l’administration fiscale d’appliquer la requalification fiscale. Face à une affaire de neuf opérations d’achat et de revente de biens immobiliers en 12 ans, le Conseil d’État a affirmé que la requalification fiscale s’appliquait (14 juin 2023, n° 461960). Cependant, la décision a été censurée, car « la seule circonstance qu’un contribuable procède à des acquisitions et cessions successives d’immeubles qu’il affecte à sa résidence principale, sans que l’administration fiscale n’établisse ni qu’il ne les aurait pas occupés à ce titre, ni que ces opérations procédaient d’un abus de droit, ne saurait, compte tenu de l’exonération des plus-values de cession de résidence principale prévue par l’article 150-U du code général des impôts (CGI), caractériser une activité de marchand de biens ». Autrement dit, en occupant physiquement ses biens immobiliers, le propriétaire peut prévenir le risque de requalification fiscale. Toutefois, le risque zéro n’existe pas, même en matière de fiscalité.
Pour aller plus loin :
- Pour approfondir la notion de caractère habituel soulevé par la cour d’appel, lire l’article 35 du CGI
- S’informer en matière d’Immobilier
- Retrouver l’article d’origine sur gestiondefortune.com