L’IA révolutionne-t-elle le secteur financier ?

17/06/2024

Les actions liées à l’intelligence artificielle (IA) ont explosé en Bourse ces derniers mois. L’engouement des investisseurs pour une nouvelle technologie a rarement été aussi marquant. Il faut dire que les récents progrès de l’IA impressionnent, au point de parler de « 4e révolution industrielle ». Mais, avant même d’être cotée en Bourse, l’IA domine déjà le milieu de la finance depuis plusieurs dizaines d’années. Analyse d’un phénomène.

Sommaire

  • Finances : l’intelligence artificielle n’est pas une nouveauté
  • L’omniprésence de l’IA : mythe ou réalité ?
  • L’intelligence artificielle : la solution à tout ?

Finances : l’intelligence artificielle n’est pas une nouveauté

Avant d’entrer dans le détail, revenons à l’essentiel. Qu’appelons-nous « intelligence artificielle » ? L’intelligence artificielle (IA) (« artificial intelligence » (AI) en anglais) est, par définition, un domaine de la science informatique qui crée des systèmes informatiques complexes capables de simuler certains traits de l’intelligence humaine. À l’heure actuelle, l’IA peut reproduire des capacités de raisonnement, de compréhension ou d’apprentissage.

Qu’est-ce que l’IA ?

Deux conditions sont nécessaires pour qu’un système puisse être nommé « intelligence artificielle » : il doit disposer d’une capacité de calcul algorithmique importante et d’une capacité d’apprentissage autonome.

De cette façon, l’IA peut alors, à partir d’exemples, créer des bases de données complètes dans lesquelles elle peut ensuite trouver l’information permettant de résoudre un problème encore jamais rencontré.

Marchés financiers : l’IA est déjà au cœur des transactions

Le monde de la finance a depuis longtemps intégré l’intelligence artificielle à son fonctionnement. Si ces dernières années la révolution s’est accélérée, l’utilisation de l’IA comme outil pour automatiser certaines tâches n’est pas récente. Le trading algorithmique et le trading à haute fréquence (THF) se sont appropriés l’IA afin de transmettre de façon automatique et rapide les ordres sur des marchés financiers. Dans un environnement stressant, où chaque millième de seconde compte, la machine est plus performante que l’homme. Ainsi, l’utilisation de trading bots sur les marchés financiers date du milieu des années 2000.

Désormais, l’usage de l’IA s’est étendue sur les marchés financiers. Elle intervient notamment dans trois domaines-clés, complémentaires du trader :

  • la prédiction des tendances boursières à venir
  • la gestion des risques sur les marchés
  • l’optimisation des portefeuilles en vue d’augmenter les performances

Concrètement, l’IA est un puissant outil de collecte et d’analyse d’informations pour les professionnels de la finance. Sa capacité à traiter de grandes quantités de données, de les croiser et d’analyser rapidement selon des critères donnés est une compétence essentielle avant d’effectuer des mouvements financiers. Ainsi l’IA peut compiler et croiser plusieurs informations relatives à un titre ou une action tels que la santé financière de l’entreprise, le secteur d’activité et son évolution en temps réel. Bref, l’IA offre des conseils personnalisés en fonction des données entrantes ce qui permet ensuite de faire des choix stratégiques destinés à améliorer l’optimisation des portefeuilles.

Autre évolution récente de l’IA en finance : la RegTech. En toutes lettres, « Regulatory Technology ». Ce terme regroupe les nouvelles technologies qui permettent de répondre aux exigences relatives à la réglementation en matière de finance sur les marchés. L’intelligence artificielle n’est, dans ce domaine, qu’un outil parmi d’autres, comme le Cloud ou le Big Data, pour répondre rapidement et automatiquement aux exigences de conformité des réglementations.

L’omniprésence de l’IA : mythe ou réalité ?

Les conséquences de l’utilisation de l’IA en Bourse

SI l’IA est un outil incontournable du trading aujourd’hui, elle ne suffit pas. Son bon fonctionnement dépend des bases de données dont elle dispose. Sur les marchés financiers, la qualité de l’analyse réalisée par l’IA dépend entièrement de la qualité des données récoltées. Une erreur informatique ou une panne peut avoir de graves conséquences sur les ordres passés. L’automatisation des tâches comporte donc des risques qui peuvent déstabiliser les marchés financiers.

Par exemple, le 5 février 2018, le Dow Jones a plongé perdant 1 500 points en quelques minutes entraînant une perte de près de 2 0000 milliards de dollars. « Ce n’est pas le trading algorithme qui a provoqué la correction de février, mais les inquiétudes sur l’inflation américaine. En revanche, il est vrai que ces ordres d’achat et de vente de titres automatisés et extrêmement rapides ont pu amplifier la chute des places boursières ce jour-là », explique Dominique Ceolin, PDG du spécialiste de l’arbitrage financier ABC Arbitrage. En d’autres termes, l’augmentation de la volatilité sur les marchés a provoqué un ordre automatique rapide de l’IA, mais trop rapide…

De plus, l’IA reste un système informatique qui peut être la cible de cyberattaques ou de fraudes. Le risque zéro, même avec des machines, n’existe pas en matière de trading. En 2015, l’autorité des marchés financiers a sanctionné Euronext et Virtu pour avoir manipulé les cours avec leur système algorithmique des ordres de marchés.

L’impact de l’intelligence artificielle dans le monde bancaire

En finance, l’IA ne date pas d’hier et son développement n’est pas encore achevé. Mais elle s’est aussi imposée dans le secteur bancaire. En 2024, plus de 150 milliards d’euros ont déjà été investis dans le développement de l’IA pour le seul secteur bancaire. Ce dernier représente 13 % des investissements mondiaux réalisés en matière d’IA (1). L’investissement dans l’intelligence artificielle cache une véritable course à la recherche de croissance et de productivité. Les cinq premières banques américaines détiennent 67 % des publications de recherches sur le sujet dans le secteur au niveau mondial, mais également 94 % des brevets relatifs à cette technologie et plus de la moitié des investissements (2). Autrement dit, l’IA dans le secteur bancaire n’est pas un effet de mode. Il s’agit d’un outil indispensable qui offre aux entreprises des solutions efficaces pour se développer à moindre coût.

L’IA, un levier de croissance

Pour le secteur bancaire, au même titre qu’en finance, la grande force de l’IA se résume à la possibilité d’automatiser des tâches répétitives qui, jusqu’à présent étaient effectuées par des êtres humains. L’automatisation de la collecte et du traitement de données permet d’affiner la connaissance client, notamment grâce à l’intelligence artificielle générative comme les chatbots.

L’identification des besoins non satisfaits des clients par la technologie apporte à l’entreprise des opportunités d’ajustements. Ainsi, elle améliore la qualité de ses services et optimise sa valeur. L’IA est donc un outil intéressant d’amélioration et d’optimisation de la stratégie pour les entreprises du secteur bancaire. En proposant des services plus adaptés aux besoins de ses clients, la banque (ou le fonds de gestion) fidélise sa clientèle et améliore sa stratégie tarifaire.

L’IA, un levier de productivité

ChatGPT est une de ces intelligences artificielles génératives. Concrètement, elle est capable de produire différents formats de contenu original (texte, images, musique, etc.). Ce type d’IA apprend à produire de nouvelles données à partir d’exemples. Le gain de temps généré par cette nouvelle technologie est un atout majeur pour les entreprises. Les tâches pouvant être automatisées peuvent être déléguées à l’IA. À l’inverse d’un être humain, celle-ci n’a pas besoin de temps de repos. Elle vient supprimer deux facteurs qui constituent des obstacles à la prise de décision efficace : le facteur « humain » et le facteur « émotionnel ».

Une banque asiatique a réalisé l’expérience en utilisant l’IA pour le traitement automatique des réclamations des clients. Elle a noté une réduction des appels reçus de 25 à 35 % et une économie annuelle de 50 millions d’euros. L’IA est doublement efficace dans la relation productivité/coûts. Elle contribue indéniablement à la renaissance de la « business strategy » au sein des entreprises qui l’intègrent à leur processus. Selon l’OCDE, la moitié des tâches exécutées par 15 % des travailleurs du secteur bancaire sont touchés par l’introduction de l’IA dans le fonctionnement des entreprises.

Dans le secteur bancaire, elle est déjà bien présente puisqu’elle contribue à l’optimisation de la gestion des risques dans l’attribution des crédits immobiliers. En effet, les solutions existantes utilisent les données bancaires pour définir la solvabilité de leur clientèle.

À noter : plus largement, le marché de l’emploi est déjà investi par l’IA. Selon les estimations d’un rapport IBM repris par le quotidien Les Echos, 400 millions de travailleurs pourraient être remplacés par l’IA d’ici à 2030 dans le monde. Un quart des entreprises font déjà appel à l’IA pour faire face aux pénuries de main d’œuvre.

L’intelligence artificielle : la solution à tout ?

Une évolution circulaire

Pour continuer à se développer l’intelligence artificielle doit donc disposer de « data » organisées, propres et exploitables. C’est la condition de sa survie aussi bien dans le secteur financier que dans tous les autres domaines d’activité. Si la finance profite déjà amplement de cette technologie, la multiplication des applications va augmenter le volume de données généré dans les prochaines années. Les prévisions pour 2035 sont de 2 142 milliards de téraoctets au niveau mondial. Ces nouvelles données pourront alors alimenter de nouveaux algorithmes plus puissants et performants. Ce qui pourrait conduire à une automatisation plus poussée des marchés financiers, mais aussi dans d’autres aspects de la société.

Au même titre que le contenu, proposé par Internet, est de plus en plus produit par des IA, la création de nouvelles données à partir de données déjà automatisées peut constituer un problème. Une simple erreur s’apparente alors à un grain de sable qui vient bloquer toute la machine. Une évolution circulaire sans intervention humaine de l’IA semble donc peu probable aussi bien dans le secteur financier que dans les autres domaines d’application.

L’écrivain et philosophe, Yuval Naoh Harari, dans une interview, lors de l’émission « Tout un monde », a alerté sur les menaces de l’IA. « L’IA est fondamentalement différente de toutes les inventions de l’histoire de l’humanité. Les technologies inventées dans le passé nous ont toujours donné du pouvoir, parce qu’aucun outil n’était capable de prendre des décisions par lui-même, ni de générer de nouvelles idées », explique-t-il. Harari insiste sur la vulnérabilité du secteur financier. Il met en avant un scénario dans lequel la complexité des algorithmes utilisés par l’IA entraînerait une opacité complète des mouvements financiers créant une crise financière majeure incontrôlable par l’homme.

Vers une multiplication des applications

L’IA est-elle l’avenir du secteur financier ? Dans une étude intitulée « State of Gen AI », le cabinet Deloitte envisageait que l’accroissement des investissements viendrait augmenter la valeur des capacités d’analyse de données de l’IA. La prédiction est désormais devenue réalité. Les géants, tels que Meta (ex-Facebook) et Amazon, investissent dans des infrastructures informatiques (pôles de recherche, Open data, centre de données) tandis que les actions relatives à l’IA explosent en bourse.

Une autre étude du cabinet, datant de mai 2024, explore les opportunités d’investissements en IA de plusieurs secteurs d’activité (3). Sans surprise, le secteur de la finance apparaît en bonne place dans tous les domaines d’investissements relatifs aux nouvelles technologies. Mais il n’est pas le seul, ce qui montre que les perspectives d’application de l’IA sont très vastes. Parmi les autres secteurs clés, on peut citer la santé et les sciences, le secteur industriel et énergétique et le secteur de technologies et télécommunications. Le service public et le gouvernement restent en retrait selon l’étude.

Les pouvoirs publics commencent à s’emparer de la question et tentent timidement de dessiner une réglementation visant à encadrer le développement et les usages de cette puissante nouvelle technologie. Les États de l’Union européenne (UE) ont approuvé le règlement européen sur l’intelligence artificielle (IA) le 21 mai 2024. Pour sa part, le Conseil de l’Europe a adopté, le 17 mai 2024, un traité international visant à garantir une IA respectueuse des droits fondamentaux. Une première esquisse qui devrait être retouchée au fur et à mesure des évolutions technologiques. Dans un rapport dévoilé fin mai 2024, la Cour des comptes européenne pointe du doigt le « manque d’ambition » et le manque d’investissement de l’UE dans la compétition pour une « IA de pointe, éthique et sûre » (4).

Sources

Pour aller plus loin :