Épargne : l’argent des Français au service de la Défense ?

21/03/2025

Face au risque sécuritaire grandissant, le gouvernement français explore les pistes de financement de l’industrie de la défense. Le trésor de l’épargne des Français pourrait être mis à contribution. Comment flécher l’épargne pour rendre les placements destinés à financer la défense attractifs ? L’État peut-il demander aux Français de contribuer à « l’effort de guerre » ? Éléments de réponse.

Financement d’un effort de guerre

Est-on désormais aux portes d’une « économie de guerre » ? Les mots du président de la République, Emmanuel Macron, lors de son allocution, le 5 mars, ont posé le nouvel objectif majeur de l’Etat : le financement de l’effort de guerre. Coincée en étau entre la Russie de Poutine et les Etats-Unis de Donald Trump, l’Europe fait désormais de la Défense un sujet prioritaire. Et la France n’est pas en reste.

Dans un contexte de fort endettement, le gouvernement français s’est engagé à augmenter le budget du ministère des Armées de 3,5 % du PIB, sans répercuter cette décision sur les impôts des Français. Vient donc la question du financement. Comment alimenter le budget de la Défense en mettant à contribution les citoyens sur la base du volontariat ? La réponse est simple : via l’épargne.

Avec 1 300 milliards d’euros déposés sur les livrets d’épargne réglementée (livret A, LEP et LDDS), 2 000 milliards d’encours sur l’assurance-vie et plus de 750 milliards accumulés sur les comptes courants, le gouvernement a trouvé la caverne d’Ali Baba. L’épargne des contribuables suffirait à alimenter les besoins supplémentaires de la France en matière de défense. Et même combler la dette de l’Etat.

Quel droit sur l’épargne des Français ?

L’Etat français peut-il avoir recours à l’épargne des citoyens pour organiser sa défense ? « Hors de question de confisquer l’épargne de qui que ce soit », assure-t-on au cabinet du Premier ministre. « Chacun conserve son épargne et reste libre d’en faire ce qu’il veut ».

Source : Les Échos

Si le gouvernement ne peut pas décider du jour au lendemain de piocher dans les économies des Français comme bon lui semble, il peut, en revanche, tenter de flécher l’épargne. Il y a tout juste un an, en mars 2024, le Sénat avait déjà voté en faveur de l’affectation d’une partie du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS) vers le financement du secteur de la défense.

Cette proposition n’a pas été examinée par l’Assemblée nationale et a disparu des agendas suite à la dissolution de cette dernière. Même si cette proposition refaisait surface dans les débats du Parlement, il y a peu de chances qu’elle soit actée. En 2023, à deux reprises, le Conseil constitutionnel a censuré une proposition similaire.

Fléchage de l’épargne envisagé

Le fléchage obligatoire vers le secteur de la défense n’est pas du goût de tous. « Bercy s’oppose pour l’instant à ce que le Livret A puisse être sectionné vers un secteur en particulier en fonction des besoins de l’instant. Cela pourrait créer des dérives et amener à flécher d’abord vers l’armement, puis vers l’agriculture, l’énergie, ou n’importe quelle industrie en difficulté », détaille Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne.

Pourtant, il ne faut pas oublier que le livret A et le LDDS sont déjà fléchés vers le logement social. En effet, 60 % des 400 milliards d’euros placés sur ces livrets d’épargne sont destinés à financer la construction de logements. Le reste de l’épargne déposée finance notamment les PME, la transition énergétique ou l’économie sociale et solidaire. Il s’agit donc d’un système déjà en place.

Autre piste envisagée : la création d’un livret réglementé dédié au financement du secteur de la défense. « Il faut adopter le texte et choisir les modalités, puis le mettre en place au sein des établissements bancaires et s’assurer que les distributeurs comme les épargnants y trouvent leur intérêt. Surtout, il faudrait que les industries de la défense soient intéressées », argumente Philippe Crevel. Vaste entreprise qui pourrait potentiellement ne pas générer les effets attendus.

Mais la volonté de fléchage ne se limite pas aux livrets d’épargne réglementée, l’assurance-vie est également dans le viseur. La création d’unités de compte finançant la défense offre la simplicité et l’attractivité recherchées. « Beaucoup de règles encadrent le financement de l’industrie de l’armement, il n’est pas toujours facile d’y entrer comme on l’entend », oppose Charlotte Thameur, chargée de développement chez Shares. De plus, la loi Sapin II constitue un potentiel frein à cette vaste entreprise. Cette dernière empêche, en cas de crise, une décollecte massive en bloquant les rachats de l’épargne.

Les autres pistes sur la table

Moins innovant, mais tout aussi valable, l’emprunt national est également étudié. Le dernier, l’emprunt Balladur, remonte à 1993 et avait permis sur la base de lancer un vaste programme de travaux.

À l’instar de l’emprunt Mauroy de 1983, une contribution obligatoire des contribuables les plus riches pourrait aussi être envisagée. La contribution différentielle sur les hauts revenus serait alors transformée en taxe pérenne sur le patrimoine. Eric Lombard a confirmé, au micro de Franceinfo, que cette piste est actuellement à l’étude. Elle permettrait de financer une partie du budget de l’Armée.

Ces pistes vont faire l’objet d’un examen plus approfondi. Une réunion entre le ministre de l’Économie, le ministre de la Défense, des investisseurs, des banquiers et des assureurs est prévue le 20 mars à Bercy.

Pour aller plus loin :